PARIS, 2 juin (Xinhua) – L’annonce du retrait américain de l’Accord de Paris sur le climat s’inscrit dans une « politique du coup d’éclat » menée par le président américain Donald Trump, dont la priorité consiste à « choisir la voie de l’Amérique, et seulement de l’Amérique » et à détricoter les actions de son prédécesseur Barack Obama, estime Jean-Eric Branaa, politologue français spécialiste des Etats-Unis.
Dans une interview accordée à Xinhua vendredi, l’universitaire explique ce qui sous-tend cette importante décision, qui devrait cependant avoir un impact limité pour l’environnement à l’échelle de la planète.
« Il faut concéder à Donald Trump qu’il se montre cohérent avec ses propres déclarations. Il l’a dit, il ne croit pas au changement climatique. Une position largement partagée chez les Républicains. Pour lui, c’est une vaste blague, c’est juste la météo, je le cite », rappelle Jean-Eric Branaa, maître de conférences en politique et société américaines à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
« Après son élection, beaucoup ont cru voir dans certaines de ses déclarations une volte-face au nom de la ‘real-politique’ ou du pragmatisme. Mais quand on décode Donald Trump, on voit qu’il n’en est rien », indique-t-il, ajoutant que ce personnage n’a pas été compris.
« En fait, son action est rectiligne. Il applique systématiquement ce qu’il a promis. Il fait parfois du billard à trois bandes mais il choisit toujours la voie de l’Amérique, et seulement de l’Amérique, car il veut rentrer dans l’Histoire comme celui qui fait ce qu’il a promis », estime le politologue.
« Dans le même temps, il agit de manière totalement imprévisible en suivant une sorte de politique du chaos. Il applique au monde et à la diplomatie ce qu’il applique au monde des affaires : il cache son jeu comme au poker pour l’abattre brutalement tant et si bien que les gens ne savent jamais s’il bluffe ou pas. C’est très perturbant pour les chefs d’Etat du monde entier qui voient parfois des signes où il n’y en a pas. Donald Trump n’a pas d’états d’âmes, ne fait guère de concessions et avance selon ses intérêts à un moment donné », décrypte Jean-Eric Branaa.
Selon M. Branaa, une des priorités du début du mandat de Donald Trump consiste à détricoter les actions de Barack Obama qui s’était engagé à une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 26 à 28% d’ici 2025 par rapport à 2005.
« Trump s’est engagé dans la voie de la démolition, éliminant une à une les politiques qu’il estime non nécessaires et nuisibles. Le Clean Power Plan proposé en juin 2014 s’est ainsi très vite retrouvé dans son viseur. La nomination de Scott Pruitt à la tête de l’Agence américaine de protection de l’environnement a notamment été un autre signal très clair », analyse le spécialiste des Etats-Unis.
« Le président américain a savamment orchestré son annonce du retrait de l’Accord de Paris pendant trois semaines avec du teasing, comme un producteur de télé qu’il a été d’ailleurs, en faisant monter la sauce, en jouant sur les mots, en s’adressant à ses supporters. En sacrifiant les questions environnementales sur l’autel de l’action d’éclat et de l’audimat, il espère satisfaire pour un temps son électorat le plus fidèle, confronté à des problèmes immédiats, pour qui la question climatique, un objectif à 100 ans, est loin d’être la priorité », explique l’universitaire.
« Il est difficile en réalité de connaître les convictions profondes du président sur le sujet. Il n’est même pas exclu qu’il n’en ait aucune. Il ne comprend sans doute même pas pourquoi le monde condamne de façon quasi unanime le retrait américain de l’accord », estime-t-il.
Conclu fin 2015 à Paris sous l’égide de l’ONU, l’accord signé par 195 pays, qui fixe un engagement international à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici à 2050, est officiellement entré en vigueur le 4 novembre 2016. Pour en sortir, un Etat doit théoriquement attendre trois ans après cette date puis respecter un préavis d’un an. Les Etats-Unis ne pourraient donc s’en retirer que le 4 novembre 2020, au lendemain de la prochaine élection présidentielle américaine.
« Comme il n’y a pas de mesures contraignantes ni de sanction prévue, ce calendrier juridique est sans réel effet. Donald Trump a d’ores et déjà annoncé que les Etats-Unis ne paieront pas », souligne le maître de conférences.
Interrogé sur l’impact de la décision américaine, Jean-Eric Branaa relève qu’il faut « distinguer plusieurs niveaux. La suppression du financement américain au fonds vert pour le climat par les autorités fédérales aura des conséquences majeures puisqu’il faudra trouver des fonds supplémentaires pour compenser. En revanche, les objectifs en matière de réduction de CO2 ne devraient pas être trop affectés car, dans ce domaine, l’influence de l’Etat fédéral américain est minime ».
« Une vingtaine d’Etats américains vont en profiter pour ne rien faire en matière de lutte contre le changement climatique, mais une trentaine d’autres vont s’engager intensément, à l’instar du Texas et de la Californie qui sont parmi les Etats les plus polluants. Les politiques sont déjà mises en place et vont se poursuivre. D’autre part, plusieurs centaines de villes puissantes vont respecter les objectifs de l’Accord de Paris ».
« Enfin, de très nombreuses multinationales américaines, qui font l’économie du pays, sont engagées dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises et vont le rester. Tant et si bien que l’impact sur la planète devrait être limité », affirme le politologue.